Espace vital de l'intime

Se loger aujourd'hui

Espace vital de l'intime 

L’étude de faisabilité d’un foyer d’hébergement d’urgence et de réinsertion sociale à destination exclusive de l’accueil des femmes et de leurs enfants (menée en 2023) a impliqué une approche singulière de la programmation qui devait aller au-delà des objectifs chiffrés de surfaces. Cette étude appuyée d’enquêtes sociologiques menées sur les sites d’accueil de l’association La Main-Tendue à Aubervilliers a permis de définir le niveau de confort architectural (matérialités, équipements…) autour de la notion d’espace vital de l’intime, mais a aussi servi à délimiter les seuils des espaces mutualisables dans le cadre d’une cohabitation de deux femmes, ainsi que penser l’articulation globale des espaces communs comme lieux d’entraide, là où se déploie la sororité.


Espace refuge



Nous prenons pour point de départ de notre étude les séries d’illustrations de la femme-maison (1946), peintures réalisées par l’artiste Louise Bourgeois au début de sa carrière, en raison de l’ambivalence du message que ces œuvres communiquent. La femme-maison, représentée symboliquement comme l’incarnation du foyer, pourrait être interprétée sous un angle féministe en dénonçant la condition domestique subie comme un enfermement. Mais le travail de l’artiste-plasticienne révèle surtout la quête de ses propres souvenirs, puisant dans sa mémoire les détails spatiaux de la maison de son enfance à Choisy pour sculpter dans la matière ce mélange d’humain et d’architecture. Louise Bourgeois dira que « La maison est le corps dans lequel les sentiments se logent ». Elle s’attarde aussi en 1999 à décrire le silence des maisons, qu’il soit inquiétant, réconfortant, lié à l’attente.  [source : Podcast Radio France du 11/09/2019 : la compagnie des œuvres ; une femme-maison] 

 

Emportant seulement les quelques objets qui leurs sont chères ou évoquant l’attachement, les femmes, accompagnées ou non de leurs enfants, investissent un nouveau foyer. Il s’agit d’abord d’un espace refuge, lieu transitoire ou de transition, qui nécessite pour les femmes de s’y sentir accueillies, de s’y sentir bien et en sécurité, écoutées. Dans cet espace-bulle, le temps est délesté de son impératif d’urgence, il porte l’espoir et l’imaginaire d’un nouvel avenir. L’analyse du programme et des besoins nous amène à penser que le foyer doit jouer le rôle d’une enceinte protectrice, un lieu de repli et de repos à l’abri des regards et des violences où les femmes pourraient se ressourcer durant une retraite.


 « Ouvrir sa malle ou sa valise en carton, poser ses affaires, décorer les murs, apprivoiser une vue de la ville, c’est faire la pause, marquer son territoire, reprendre souffle dans un “entre-lieux” avant de poursuivre son chemin et son projet. » Michelle Perrot lorsqu’elle convoque les paroles de migrantes d’Europe centrale et du Maghreb.


Espace contenant

 

Notre approche suit l’idée que : « l’architecture est une œuvre qui contient des choses » (Louise Bourgeois). Nous révélons par une série de croquis la place des objets symboliques dans les chambres occupées, pour définir les besoins du programme en termes de mobilier et d’agencement. Une commode encadre dans un espace dédié les bibelots, porteurs de sens ou d’espoir. Un coffre-fort permet de ranger précieusement les objets de valeurs (papiers, bijoux). Ou suivant l’image d’un poêle en fonte central dans le foyer, elles disposent d'un garde-manger, d'une bouilloire pour les petits encas, rappelant le souvenir enfantin du plaisir du goûter (les repas principaux s’effectuent dans les espaces communs). La tomette au sol, comme unique revêtement, apporte la chaleur et l’évocation des anciennes cuisines, le cœur battant d’un foyer. Le mobilier, les équipements, les matériaux deviennent ainsi les contenants indispensables du programme accompagnant la proposition architecturale.

Espace de paroles


Dans notre étude, nous interrogeons l’espace du lit qui prend une place centrale dans la chambre, et suivant les besoins du programme dans le cas d’une cohabitation entre deux femmes, ou dans l’autre cas pour une femme avec ses enfants.

 

La sculpture de femme-maison allongée, réalisée en marbre polie, exprime la douceur d’un rêve enfoui, mais la difficulté décrite par Louise Bourgeoise pour sculpter la pierre « cette matière cassante » témoigne aussi de l’effort nécessaire pour extraire la souffrance au rêve logée dans la chambre. Ainsi la chambre, symbole de l’intériorité permet d’accéder aux traumas passés. « De l’accouchement à l’agonie, [la chambre] est le théâtre de l’existence, ou du moins ses coulisses, celles où, le masque dépouillé, le corps dévêtu s’abandonne aux émotions, aux chagrins, à la volupté. » [Michelle Perrot, Histoire de chambres, Paris, Éditions du Seuil, 2009, pp. 7-8.]

 

Le lit devient un espace de paroles. On doit pouvoir s’y allonger, se reposer, mais aussi s’assoir et discuter. C’est l’endroit où tenir une discussion dans la confidence, avec une personne ou au téléphone, où l’on peut écrire des messages de bonheur ou détresse. C’est aussi le lieu d’expression de soi, tel que l’a intimé Virginia Woolf avec son livre « A room of one’s one », un espace de liberté à soi pour se (re)construire, qui puisse être fermé à clé.

 

Ainsi nous proposons le lit comme une alcôve avec des supports pour que chaque occupante puisse le personnaliser de photos, d'images, d'affiches, de plans, porteurs de rêves ou de protestations…Une prise à hauteur est dédiée au chargement du téléphone. L’espace est assez large pour intégrer un chevet. Une applique murale permet de tamiser la lumière. Le lit  dispose d’une vue dégagée sur l’extérieur. L’espace est équipé d’un système amovible, paravent, rideau pour préserver cet espace personnel. Dans certaines typologies, nous proposons deux entrées, desservies par une coursive située de part et d’autre d'un volume traversant, formant deux espaces individuels séparés par la salle de bain centrale.


L’association “dessins sans papiers” intervenant dans les centres d’hébergement d’urgence utilise aussi le dessin pour faire raconter aux enfants leur histoire et leur vécu. L’un d’eux définit sa maison par l’espace du lit. Lors de notre visite, nous avons constatés que les doudous ou les jouets y sont logés, les habits suspendus aux lits superposés. Ainsi, pour les enfants, le lit est aussi un espace d’appropriation. Démarquer cet espace de celui de la mère dans une chambre partagée nous a semblé être un enjeu du programme. L’utilisation des lits superposés est réservée aux enfants. Ainsi certaines typologies proposent un découpage temporel de l’espace entre la mère et les enfants. A cela viennent s’ajouter les espaces de jeux collectifs prévus dans la cour.

Espace de réparation

 

La fresque murale du Foyer la Main-tendue réalisée par l’artiste Rouge Hartley en mars 2022 représente une femme coiffant une autre femme et soulève des problématiques sociétales tels que la place donnée aux femmes dans l’espace public et leur espace de liberté dans la sphère privée. Elle rappelle aussi la nécessité d’offrir une protection, une réparation vis-à-vis de situations de précarité, de fragilité, ou de maltraitance en particulier. Cette image symbolique souligne le fait que le Foyer est un lieu de réparation des corps abimés, fatigués. A mi-chemin avec les soins médicaux fournis dans les hôpitaux, « prendre soin des corps » est aussi l’un des enjeux des centres d’hébergement d’urgence.


Notre proposition intègre des salles d’eau dans les chambres partagées, apportant un confort supplémentaire par rapport aux centres d’hébergements d’urgence où les douches sont collectives. De plus, nous proposons un espace de change personnel équipé d’une chaise, d’un miroir et d’une coiffeuse, pour valoriser les soins quotidiens, à l’image des loges des artistes qui se préparent à passer en scène. Le but est d’offrir un espace de répétition des gestes d’attentions.

Espace de partage


Le personnel joue un rôle important dans l'accueil des occupantes. L’organisation de la séquence d'entrée (accueil de jour, espace de repos, bagagerie, boites aux lettres et des bureaux) découle des interactions souhaitées avec le personnel.

Le foyer s’organise ensuite autour des espaces communs (cuisines collective, salles de jeux, salle des repas, salles pour les activités…) qui sont autant de lieux de partage et d’entraide entre les occupantes. A titre d'exemple, les cuisines sont équipées de plusieurs postes de cuissons et de réfrigérateurs individuels favorisant l'autonomie mais aussi le partage des recettes. La prise des repas peut s’effectuer collectivement dans la salle de restauration s'ouvrant sur l'extérieur.


Les fonctions du programme trouvent ainsi une résonnance avec les édifices de cloîtres. L’article de la revue Habiter 303 portant sur cette thématique rappelle l’importance des activités (maraîchage, préparation des repas...) dans le fonctionnement de la communauté au-delà de l’aspect religieux. Les lieux sont organisés avec une majorité d’espaces partagés ayant une fonction sociale (cuisiner, jardiner...), organisés majoritairement au rez-de-chaussée en U ou en O autour d’une cour centrale.  Ainsi la faisabilité propose une cour commune centrale entourées de coursives protégées. Car le rôle et l’enjeu du foyer la Main-Tendue réside aussi dans la dynamique d’insertion autour de cette communauté de femmes pour permettre une transition et une ouverture vers l’extérieur.


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